Les écrits de Shina

Le soleil était couché depuis plusieurs heures lorsqu'un jeune homme décida de s'aventurer à l'extérieur. La nuit ne se cachait pas dans une obscurité ce soir-là, les étoiles qui brillaient hautes dans le ciel, éclairaient doucement la ville. Le quartier de la lune zigzaguait parfois entre les nuages pour finalement stagner un instant et repartir dans son jeu. Le vent frais du mois de novembre soufflait faiblement dans les branches des conifères. Ces derniers semblaient ravis, ils paraissaient se pavaner sous cette délicate brise, ils dansaient sans bruit, leurs bras se tendant parfois sur le sentier comme pour inviter les flâneurs à les rejoindre. Ils se montraient si chaleureux que cela en devenait envoûtant. Les feuilles des érables rougissaient mais était-ce réellement un phénomène naturel ou bien une grande timidité de leur part ?
Mais notre homme se moquait bien de tous ces arbres. Il ne pensait pas à entrer dans leur jeu, il songeait à bien d'autres choses qui lui barricadaient l'esprit. Il cogitait sur un certain nombre de ses problèmes, se questionnant ardemment sur la solution qu'il pouvait dénicher à chacun d'entre eux. Sa tête ressemblait à un croisement entre impasses et idées trop radicales – bien que, pourquoi pas, plutôt ingénieuses. Il soupira, accablé par ses maux de crâne et agacé par ce temps trop lourd et brumeux à son goût, avant de pénétrer dans un parc.
Là, étrangement, son pas se ralentit, il devint plus admirateur. Il leva le visage pour apprécier tout ce qui l'entourait. Chaque feuille qui tombait, chaque bruit qui lui parvenait aux oreilles, chaque animal qui gambadait ; il voyait et ressentait de grandes émotions. Sa guitare qui tapait doucement sur son flanc depuis sa sortie, se vit soudainement sollicitée. Ses doigts le démangeaient, il avait ce besoin incontrôlable de les plaquer sur son instrument afin d'en extraire de magnifiques mélodies. Il était inspiré, grandement inspiré. Et ses ennuis il les saluait gaiment d'un bref mouvement de la main.
Quelques mètres plus loin, il s’arrêta sous un saule, près de l’eau du lac, se cala contre le tronc du végétal et retira la housse qui protégeait sa guitare. Il la saisit délicatement et s’installa avant de commencer à jouer. Il fit plusieurs accords, différentes gammes, puis s’élança. Cela faisait plus d’une dizaine d’années qu’il pratiquait. Il avait appris à jouer tout seul, juste aidé de plusieurs vidéos de ses groupes favoris. Sa technique, peu commune, il la tenait de son intérêt pour la basse. En effet, passionné également par cet instrument, il avait souhaité se servir de sa guitare à l’instar d’une basse. Plus simplement, il faisait du « slap » et il tentait tout le temps d’améliorer ce qu’il savait déjà très bien faire. Son entourage ne pouvait pas dire qu’il était extrêmement perfectionniste car il ne l’était que dans ce domaine-là.
Dès qu’il déposait ses mains sur son instrument, c’était comme si une grande bourrasque s’engouffrait dans tout son corps. Il se sentait différent dans le sens où, il oubliait tout ce qui se passait autour de lui. Les évènements, l’heure, les discussions, quoi que ce fût, tout s’effaçait et ne demeurait que sa musique. On pouvait dire qu’elle l’ensorcelait et venait le chercher au plus profond de son être. Combien de fois l’avait-elle aidé ? Combien de fois l’avait-elle consolé ? Il ne les comptait plus, toutes ces fois où, seule la musique avait été présente pour lui dans son parcours, dans sa vie. Parfois il en rougissait, elle se trouvait être un peu comme une maîtresse à ses yeux, en qui sa confiance n’avait aucune limite. Jamais elle ne le trahirait, il le savait. Il s’abandonnait totalement dans ses bras, sans remords, et cela le soulageait. Elle avait ce côté rassurant et protecteur que le jeune homme aimait et qui lui rappelait un peu sa mère. La musique était à la fois sa maîtresse, le reflet sa mère et son refuge.
Mais cette musique prenait davantage forme lorsqu’il jouait devant ses nombreux fans. Son plaisir fleurissait mieux qu’une plante au printemps et sa seule préoccupation sur scène était de satisfaire son public. De tout lui donner, tout lui offrir et partager tout l’amour qu’il possédait avec eux. Cette expression de joie, ce sourire constamment aux lèvres, montraient bien qu’il aimait ce qu’il faisait. Et, bien souvent de fois, il ne se contenait pas de tout extérioriser afin de produire un show digne de son nom. Pour cet artiste, il n’y avait aucune différence entre tous ses supporters, car la seule chose qu’il retenait, était qu’ils venaient assister à son concert ; ainsi, ils étaient tous connectés, tous unis par sa musique et par leur passion.
Sur la scène, chacune de ses paroles s’illuminaient d’un sourire, son jeu de guitare était impressionnant. Ses doigts glissaient sur le manche pour en extraire de fabuleuses mélodies. Ses fans hurlaient son nom tel qu’il aimait le réclamer. Sa magnifique silhouette semblait tout bonnement surhumaine. Personne ne pouvait s’approprier la scène comme lui. Ses traits, parfaitement dessinés, ses yeux marrons délicatement bridés, ses cheveux noirs de jais, en avaient fait craquer plus d’une. Cet homme faisait rêver sans peut-être même le savoir réellement, emportant avec lui tous les malheurs. L’ambiance qui régnait dans la salle reflétait la parfaite symbiose entre lui-même et son enthousiaste public. Jamais il ne pensait s’être montré autre que la personne qu’il était vraiment. Aucun double jeu – malgré ses nombreux looks – aucune tromperie, jamais.

Le vent faisait danser ses cheveux mi-longs, la nuit devenait de plus en plus sombre. Le garçon posa sa guitare et se releva pour s’avancer devant l’étendue d’eau aussi profonde que le ciel. Il enfouit ses mains dans ses poches mais remarqua une petite pierre plate à ses pieds. Il la déterra et la fit rouler dans sa main. Il ferma les yeux puis sourit. Il lança alors le caillou. Un, deux, trois, quatre, cinq. Cinq ricochets ! Son sourire s’agrandit, il ne manquerait pas de raconter cela à sa plus grande fille.
Remettant ses mains dans ses poches, un beau souvenir lui revint à l’esprit. Bien sûr, il y songeait souvent, le rappelant même de temps en temps à sa femme, car ce mariage avait sûrement été l’un des plus joyeux moments de sa vie.
Ensemble, ils avaient choisi le mois de mars. Tous deux souhaitaient cette union pour la simple raison que la mariée était enceinte de plusieurs mois déjà. Bien que sans grande extravagance, ce mariage n’en fut-il pas moins noble ! Le garçon se souvenait surtout de l’arrivée de son épouse ; il l’avait dévoré des yeux tant elle était ravissante. Sa longue robe blanche dévoilait joliment ses formes de future mère, son splendide visage de poupée se voyait encadré par ses cheveux auburn qui dévalaient en cascade sur ses épaules et elle tenait dans ses mains un bouquet de diverses fleurs parfumées. Elle sourit lorsqu’elle le vit et lui, il ne prêta plus attention à rien, mis à part à cette femme qui venait vers lui. C’était comme si tout se figeait, jamais il ne l’avait vu si belle. Son cœur cognait fort dans sa poitrine, il cacha même un léger tremblement en croisant les mains dans son dos et rendit finalement son sourire à la belle. Ce mariage scella leur amour.
Et quatre mois plus tard, il se rendit à la maternité où il prit pour la première fois sa fille dans les bras. A ce moment là, il ne s’était pas retenu de lâcher des larmes. Sa joie ne pouvait absolument pas se décrire. Il tenait contre lui sa progéniture, son bébé, ce petit être issu d’un profond amour. Dès que l’infirmière la lui avait posée contre son torse, il comprit que désormais il était un père. Un père qui protégerait et prendrait soin de sa fille et de sa femme. Il déclara lui-même à son épouse : « Je suis l’homme le plus heureux du monde. »
Il devait donc concilier sa vie de famille et sa vie d’artiste. Il savait pertinemment qu’il serait obligé de faire des concessions, mais il n’était pas effrayé. Il gardait la tête froide et se dit que tout se passerait sans embûches. Il serait responsable et disponible pour sa maisonnée et pour ses fans. Et il ne se trompa pas une fois.
Enfin, moins d’une année et demie plus tard, sa deuxième fille naquit. Avec une émotion identique, il la serra contre son cœur ; elle était sa perle, son petit joyau.

Un frisson le parcourut, il soupira longuement. Tous ces évènements l’avaient forgé, il savait qui il était, ce qu’il devait faire. Cette maturité semblait être une très bonne alliée. Le passé il le conservait précieusement dans son âme et maintenant il avançait droit devant lui. Il ne nécessitait rien de plus, il avait tout ce dont il aurait pu rêver.
Munit d’une certaine fierté, le Japonais rangea son instrument de musique et rentra chez lui. Il fit bien attention de ne faire aucun bruit et se rendit sur la pointe des pieds dans la chambre de ses enfants. Délicatement il ouvrit la porte, s’approcha du lit de la plus jeune et déposa un baiser sur son front. Elle dormait paisiblement, son doudou en forme de lapin dans sa main. Il sourit puis alla voir la grande sœur. Il l’embrassa également et lui murmura :
« Papa a réussi à faire cinq ricochets… »
Mais papa a surtout réussi sa vie.